— Bon, on s’en tient au plan. Tu suis, écoutes et apprends. Tu touches à rien et tu la fermes, c'est clair ?
— Très clair, lui répondit une voix hésitante et peu sûre d’elle.
— Bien. Alors on y va, déclara-t-elle.
Ils cheminaient à pas feutrés derrière la colline qui donnait sur les terres du Jarl qu’ils devaient tuer. La femme expérimenté étaient suivie de près par le petit nouveau. Elle le scruta un instant alors qu’ils s’étaient arrêtés derrière un gros rocher gris : le jeune garçon âgé de dix-huit ans – soit deux ans de moins qu’elle – avait les cheveux tressés en arrière et les deux côtés du crâne rasés. Ses yeux bleus luisaient dans la pénombre de la nuit dont seule le quart lune blanche illuminait d’une lueur blafarde le camp de l’ennemi. Le jeune homme tremblait de peur, mais s’ils voulaient avoir l’air de vagabonds blessés, c’était la seule chose à faire.
— Tu es prêt ? lui demanda-t-elle doucement.
— Oui, répondit-il, toujours aussi peu confiant.
— Bien alors, vas-y. Et n’oublie pas, pas trop profond et bien dans le flanc droit, dit-elle d'un ton autoritaire, comme à son habitude.
— Oui, oui.
Il se mit alors debout que ses jambes tremblotantes et elle aussi. Tandis qu’il découvrait sa hache qui servirait bientôt à taillader une de ses côtes, la future victime avait l’air parfaitement sereine comme si durant chacune de ses missions, elle s’infligeait une blessure plus ou moins grave selon son plan. À vrai dire, c’était parfaitement le cas. Selon ses idées et les stratagèmes qu’elle préparait afin de pénétrer dans un camp sans éveiller les soupçons, il y avait forcément une blessure à un moment ou un autre. Néanmoins, rares étaient les fois où la jeune femme blonde avait travaillé en binôme, ce qui la rendait nerveuse pour cette mission.
Elle ne craignait pas la douleur de la blessure. Elle redoutait surtout que le soldat n’ait pas assez de cran pour la lui infliger. Le fixant d’un regard concentré, tous les muscles contractés, elle commençait à perdre espoir tandis qu’il brandissait son arme. Celle-ci resta alors bloquée dans les airs, énervant la guerrière dont un côté du crâne était rasé. De l’autre, ses cheveux retombaient joliment en cascade.
— Allez, Ludwig, vas-y ! s’impatienta-t-elle.
— Mais je veux pas te faire de mal !
—T’es un homme ou t’as rien entre les jambes ?
À ces mots, le coup partit. La combattante retint un cri de douleur et s’effondra au sol, les dents serrées. La souffrance se lisait sur son visage et le nouveau se précipitait près d’elle, l’air hautement coupable. Après tout, malgré ses airs de petit garçon sensible, il ne fallait pas toucher à sa fierté et il apprendrait bien vite à devenir un grand homme impitoyable comme elle.
— Ragnhild, je …
— Tu quoi ? Fais ce que tu as à faire ! Mais vite …
La blonde tenta un effort pour se relever, mais la douleur fut si fulgurante qu’elle retomba à même le sol dans un bruit sourd. Ludwig tentait tant bien que mal de panser sa plaie tandis que les vêtements de vagabond de la jeune femme s’empourpraient tout comme ses propres mains. Elle se sentit alors soulevée par les bras du jeune garçon. Au moins, il ne possédait pas un corps de lâche.
La descente de la colline fut longue et périlleuse mais Ragnhild n’en sut rien. Elle ne sut pas non plus qu’en arrivant au bas, Ludwig ne sentait plus ses muscles mais qu’il continuait, pour elle. Cette dernière voyait peu se qu’il se passait, à demi dans les vapes, ses paupières se fermaient parfois alors qu’elle tentait tant bien que mal de lutter. Au bout d’un long moment, elle entendit quelques voix agressives, comme s’ils s’imaginaient que les deux jeunes gens étaient venus pour envahir leurs terres. Mais les sons se firent plus doux et bientôt inaudibles. Puis, rapidement, ce fut le néant. Un trou noir comme une descente aux Enfers jusqu’à ce que sa conscience s’en aille avec elle.